RANDO MULET

Récits de voyages et randonnées diverses avec un mulet:UN VRAI MULET

Dans les Ardennes en septembre 2017.

Les dames de Meuse
Avec la Meuse en contrebas

 

un mulet pour servir nune grande cause
toujours la même cause.

Ce voyage en solitaire avec le mulet Mario se veut la suite logique de la découverte en 2017 des Ardennes belges.

La Meuse
un long fleuve tranquille

Pour cette excursion, j’ai choisi, par facilité, de suivre en partie la Meuse, magnifique fleuve qui se promène d’un pays à l’autre en tournoyant entre les collines.

Givet
en centre ville

Je suis parti du pays de Givet, cette corne située au nord de notre terre de France, à 80 km de Charleville-Mézières. Là, j’ai laissé Mario et son barda dans le presbytère pendant que je conduisais le van à mon point d’arrivée chez Joseph dans le petit village de Grandchamp près de Rethel. Et puis, j’ai dû revenir à Givet via Charleville par le train pour retrouver Mario dans son pré presbytérien. Ouf, premier périple exécuté ! Maintenant, je peux préparer Mario. Il a passé une bonne nuit sous la garde attentive de la très sympathique Nicole qui, comme l’année dernière, a laissé son obole pour l’Étoile de Martin dans la tirelire Marionesque.

mulet bâté
dans la cour du presbytère

 

citadelle de Givet
Citadelle de Givet

La grande citadelle de Charlemont domine la ville, et je comprends que son imposante silhouette inspira le respect à nombre d’assaillants. Nous, pas de conquête, mais une belle marche de remise en forme dans les Ardennes sur les rives mosanes.

Mulet bâté
Mario bâté

Une belle journée

Le temps est serein et j’ai le cœur léger dans les deux sens du terme. Mario, lui aussi, va bien : je sens qu’il veut en découdre et je dois faire un effort pour suivre son pas. Nous ne sommes pas trop chargés, à peine le poids d’un homme sur son dos. Pour lui, c’est de la rigolade, bien que je sois ici ou là, comme souvent, interpellé par des gens compatissants mais ignorants de la gente muletière qui viennent plaindre ce pauvre animal en me courrouçant avec fortes invectives : lui, impassible, laisse dire et profite de ce moment pour brouter à qui mieux mieux.

Cette première demi-journée de marche nous conduit vers une courte étape à Vireux-Molhain où nous rejoignons le gîte d’étape communal situé sur une hauteur près de la collégiale. Très bien tenu et confortable, cet hébergement est un enchantement. Ne trouvant pas d’espaces herbeux convenables pour Mario, je décide de l’installer subrepticement dans l’ancien cimetière peuplé de tombes ancestrales et de dalles tumulaires représentant des personnages illustres et bienfaiteurs d’un temps lointain. En effet, cette collégiale aurait été fondée vers l’an 750 par une certaine Dame Ada veuve d’un comte de Poitiers, puis transmise à Pépin le Bref, le père de Charlemagne pour y fructifier des revenus substantiels. Dans tout ça, Mario est aux anges et mange les pissenlits aussi par la racine. Le lendemain matin, le ramassage du crottin m’instruira sur la qualité du pâturage !

Première étape
Première étape

Première étape

monument aux morts
place à Vireux-Molhain

De bonne heure et de bonne humeur, je quitte cette colline généreuse en jetant des regards heureux sur ce beau paysage dissimulant des vallées secrètes et préservées où chantent les ruisseaux. En rejoignant la Meuse, les pas de Mario font sortir les bonnes gens de leur maison et c’est pour moi l’occasion d’entamer une conversation dirigée du type « Savez-vous où se trouve le bar ou le café le plus proche ? » Tous m’ont indiqué un lointain estaminet, sans jamais me proposer un chaud breuvage qui pourtant m’aurait bien ragaillardi ! C’est ainsi !

La Meuse
vue de la petite ville depuis le chemin de halage

C’est donc après avoir franchi la Meuse à Vireux-Wallerand, la sœur jumelle que nous prenons un petit café en terrasse, Mario oblige. Le bougre profite d’un moment de grâce pour me happer le morceau de sucre, ce qui fait bien rire la jeune dame qui passait par là. Nous sommes dimanche matin et l’office du tourisme est fermé (nous sommes en France). Tant pis pour la culture, j’achète du pain chez Christian le boulanger pendant que son épouse met un billet dans le tronc. Achat de quelques victuailles chez les locaux et me voilà reparti le long de la Meuse tout guilleret.

Ecluse sur la Meuse
une écluse automatique sur un bief

En chemin, un gars, un Hollandais, me double facilement à vélo puis s’arrête. Nous bavardons en langage abscons. Parti d’Amsterdam il compte rejoindre la Méditerranée : nous n’avons pas le même rythme !

Discutions également avec des plaisanciers qui remontent du sud de la France en empruntant canaux et rivières navigables. Le monsieur qui est plus loquace que la madame me dit que, en cette saison, les niveaux d’eau permettent tout juste de naviguer et que, à Rethel, la quille a raflé le fond : ils sont là, amarrés, ancrés, dépités, en attendant la pluie ou bien que leur fils, le Liégeois, vienne les chercher !

Histoire de cyclistes

Un peu plus loin, des cyclistes qui bombaient à toute berzingue sur le chemin de halage sont maintenant arrêtés, accroupis devant leur machine dont un pneu est crevé. Rediscussions sur le temps, sur la nature du chemin, sur l’animal, sur le pourquoi de la marche, sur l’itinéraire… Enfin, rien que du bon pour dire que l’on cause ! Je les laisse se parer de cambouis et ce n’est qu’un quart d’heure plus tard qu’ils me doublent à nouveau en me hélant « à une autre fois, à la prochaine c’est vous qui crèverez ! »

À propos des cyclistes, je dois dire ici combien, d’une façon générale, ils ne se montrent jamais polis, ni courtois. Perchés sur leur mécanique, ils foncent pour tenter de faire leur moyenne, et rien ne les détourne car ils sont pressés. C’est bien rare lorsqu’un de ces seigneurs lève les yeux ou pire encore ose dire bonjour ou saluer en opinant du bonnet. Et pourtant, je suis certain qu’à pied, pris individuellement, ce sont des gens charmants. En les voyant ainsi, je ne peux m’empêcher de penser à l’homme d’affaires que rencontre le petit prince : cela se situe sur une autre planète ; évidemment ! Je veux, bien entendu, exclure de mon jugement les personnes qui font de la bicyclette par exemple en famille pour le loisir et la détente sans idée de compétition.

En fait de cyclistes,c'est ce chien qui m'a accompagné sur 10 km.En fait de cyclistes,c'est ce chien qui m'a accompagné sur 10 km.En fait de cyclistes,c'est ce chien qui m'a accompagné sur 10 km.

En fait de cyclistes,c'est ce chien qui m'a accompagné sur 10 km.

souce ferrugineuse
un endroit paisible

Naturellement

Lorsqu’on est seul, en rando, sur des chemins fort empruntés de surcroît, il faut user de ruse pour pouvoir satisfaire des besoins naturels. Pour un gars, la petite commission est vite réglée, mais je sais que ce point reste toujours un problème pour les dames, qu’elles soient jeunes ou qu’elles le soient moins. Trouver un taillis sans trop de ronces ou d’orties toutefois, un bois ou un fossé creux sans eaux dormantes, bref un endroit protégé pas trop éloigné du groupe, afin de ne pas s’essouffler pour le rattraper. En revanche, c’est une tout autre affaire en ce qui concerne la grosse commission, c’est pourquoi je conseille toujours à mes accompagnants de prendre leur précaution (comme on dit) avant le départ. En l’occurrence, nul n’étant prophète en son chemin, j’ai utilisé le mulet pour faire le P comme on disait alors en pension (c’est-à-dire qu’un camarade était chargé de veiller à la tranquillité du quidam en prévenant de tout dérangement).

Avisant un petit sous-bois bienfaiteur j’attache Mario à proximité, de telle sorte qu’il occupe la totalité du chemin, en interdisant ainsi tout passage. Son inquiétude naturelle le fait sursauter ou changer de position et souvent regarder dans la direction d’un supposé danger ou plus simplement la venue d’un intrus se présentant à proximité. Ce mulet-là, voyez-vous, n’est pourtant pas un mulet de cirque mais a tout de même plusieurs cordes à son arc, et non des moindres ! C’est un aidant.

 

l'arbre qui cache ...la forêt.
l'arbre qui cache ...la forêt.

l'arbre qui cache ...la forêt.

Mulet poitevin

Histoires de mulet

Je poursuis mon chemin vers Fumay ou j’ai réservé un mobil-home pour la nuit. Grand bien m’a pris, car la nuit a été extrêmement fraîche. Mario, lui, est installé au fond du camping fréquenté pour la plupart par des touristes des pays du Nord qui viennent ici chercher un peu de chaleur ! Un campeur hollandais fait vraiment la moue en voyant que Mario va passer la nuit à proximité de son campement et me fait savoir que l’odeur et le bruit risquent de l’incommoder, ce qui, à ma grande surprise ne l’a pas empêché de ramasser tout le crottin le lendemain matin.

C’est justement le lendemain que, en passant le long d’un pré, Mario a effrayé un poney, lequel a sauté la clôture pour s’échapper en galopant dans le lointain. Dans mes précédentes randonnées, l’agitation des chevaux se produit parfois à la vue des grandes oreilles, à l’odeur du mulet mais aussi à cause du tintinnabule de la grelottière. Ce jour-là, un facteur en vélo est allé prévenir la propriétaire… qui n’était autre que la gérante du camping. Je suis reparti serein !

Un pays à reconstruire
Un pays à reconstruire
Un pays à reconstruire
Un pays à reconstruire
Un pays à reconstruire
Un pays à reconstruire
Un pays à reconstruire
Un pays à reconstruire

Un pays à reconstruire

Découverte du pays

Avant de venir à Fumay, je n’avais jamais entendu parler de cette petite ville, bien charmante ma foi. Les maisons sont construites en pierre bleue de Givet et la cité est lovée dans une quasi totale boucle de la Meuse.

Le plus surprenant, ce sont les anciennes ardoisières qui ont fait vibrer la ville pendant plus de huit siècles. Les vestiges sont encore visibles sur plusieurs kilomètres le long de la Meuse. Les murs de soutènement des excavations sont impressionnants et certaines demeures de maîtres attestent de la richesse alors déployée.

Mais que dire de l’ensemble de l’architecture actuelle de cette région aujourd’hui sinistrée ? Beaucoup de maisons sont à vendre, ce qui n’est certes pas un cas unique en France rurale. Beaucoup de maisons sont en décrépitude avancée et on sent un pays en souffrance dont notre ancien président a dû s’inspirer pour décrire la population qui ne peut pratiquer les dentisteries. Cette région a eu son heure de gloire avec la métallurgie, les fonderies, les industries d’appareils électroménagers…

La plupart des commerces ont disparu et je dois me contenter des super-mousquetaires pour m’acheter deux pommes ! Les rares bistros encore ouverts sont fréquentés par une population désargentée qui consomme peu et attend surtout que le temps défile jusqu’au soir pour se mettre devant la sainte télé.

Quel contraste entre la beauté des paysages et les gens qui y vivent ! C’est un sentiment de tristesse qui m’a saisi au passage de ces bourgs. Heureusement, il existe chez ces gens-là une chaleur et une fierté qui ne se sont pas estompées, j’en ai été témoin.

le long du fleuve ,les ardoisières.
le long du fleuve ,les ardoisières.
le long du fleuve ,les ardoisières.
le long du fleuve ,les ardoisières.
le long du fleuve ,les ardoisières.
le long du fleuve ,les ardoisières.

le long du fleuve ,les ardoisières.

Source ferrugineuse
La source ferrugineuse

 

Les Dames de Meuse
Les Dames de Meuse

Les Dames de Meuse

Marcel, ce gars qui, lorsque le soleil vient à se cacher derrière les Dames de Meuse, me propose sa caravane pour que je puisse y passer la nuit ; cet autre qui apprenant le prénom du mulet se reconnaît en lui-même, car il s’appelle aussi Mario, me dit aussitôt : « Attendez, je vais dans mon jardin et je reviens ». En effet, il revient quinze minutes plus tard avec un sac rempli de pommes de terre, de betteraves, de carottes, de je ne sais plus quoi encore, et tout cela pour Mario qui en bave à plein museau. Cet autre encore, un certain Patrice, agent VNF (Voies navigables de France), qui au loin a stoppé son Kangoo Renault en m’attendant, pour me raconter l’histoire des 26 barrages à aiguilles dont il est responsable, leur disparition programmée et leur remplacement par des barrages avec tout le tintoin susceptible de laisser remonter les poissons pour frayer, la disparition conjointe des personnels de surveillance et d’entretien. Il est aigri le Patrice, d’autant que sa retraite est programmée dans deux ans ! Grâce à lui, j’ai pu m’attarder devant le petit manoir où George Sand a séjourné quelque temps, d’entrevoir aussi la belle demeure d’un sculpteur réputé et d’entendre quelques belles légendes des collines des Dames de Meuse. Il en est ainsi des pierres que Satan aurait jetées depuis les trois falaises pour contraindre Roland, le neveu de Charlemagne, à reculer. Ces blocs de diorites légendaires sont encore visibles, ce qui donne de l’authenticité à la légende, n’est-ce pas ? Je suis également passé tout près de la source ferrugineuse. La légende raconte qu’un seigneur voulait séduire une jeune fille. Elle refusa ses avances et se réfugia dans une grotte près de la source. Il la retrouva et la tua avec son épée qu’il jeta dans la source. Depuis ce jour, l’eau a le goût de fer de l’épée et la couleur du sang. Des Dames de Meuse, on raconte encore dans les chaumières que ces trois rochers symbolisent les dos courbés de trois épouses infidèles à leurs chevaliers partis en croisade. Mais comment auraient-elles pu dessertir subrepticement leur ceinture de chasteté ? Il ne m’appartient pas ici de vous donner la clé !

 

Manoir de George sand dans les Ardennes
Le manoir de George Sand

 

Rénovation des barrages pour le passage des migrateurs!
Rénovation des barrages pour le passage des migrateurs!
Rénovation des barrages pour le passage des migrateurs!
Rénovation des barrages pour le passage des migrateurs!
Rénovation des barrages pour le passage des migrateurs!
Rénovation des barrages pour le passage des migrateurs!
Rénovation des barrages pour le passage des migrateurs!

Rénovation des barrages pour le passage des migrateurs!

Un mulet dans les Ardennes
Mario:une légende!

Et j’ai continué à longer la Meuse qui n’en finit pas de méandrer sur son lit.

À Revin, une ville chargée d’histoire, entrelacée dans une double boucle de la Meuse, j’ai rencontré Robin, journaliste à L’Ardennais, journal de ce coin de France. Sa petite interview m’a bien aidé tout au long du chemin car le quotidien est bien lu dans les chaumières, et même si je n’ai obtenu que très peu de dons, j’ai reçu grâce à l’article du journal un très bon accueil auprès du public et des inconnus rencontrés. « Ah, c’est vous ? On vous a vu dans le journal. C’est bien ce que vous faites, j’aime tellement les bêtes ! »

Et puis, nous avons poursuivi notre périple en direction de Laifour. Rencontre avec de drôles d’alpinistes qui sécurisent la falaise qui, par endroits, s’effrite. Vues sur les barrages en reconstruction et les chantiers titanesques. La Meuse s’embellit et se met au goût du jour pour faciliter la navigation de plaisance !

Consolidation d'une falaise
Travail en haute voltige!

 

Ce soir, nous avons projeté de nous arrêter à « la petite commune » chez Angélique, mais la place manque : un groupe de vétérans excursionnistes a réservé dans l’intention de passer la nuit avant d’aller « escalader » les Dames de Meuse. Tant pis, je dormirai sous la tente avec Mario comme compagnon, enfin pas tout à fait : Mario dormira juste à côté de la tente et c’est tant mieux car dormir avec un mulet qui fait « hum hum » ça ne doit pas être drôle.

Une jeune fille suivie à l’hôpital de Reims pour une tumeur déclarée deux mois plus tôt est venue voir le mulet ; nous avons parlé de sa maladie et des progrès réalisés, puis elle s’en est allée se reposer. Je me dis que l’action entreprise ici avec Mario sous les couleurs de l’Étoile de Martin n’est donc si pas innocente…

En quittant ce lieu austère situé à l’emplacement de l’ancienne usine Faure, qui fabriquait entre autres des appareils électroménagers et toutes sortes de brocs et ustensiles de cuisine, nous avons suivi tranquillement la Meuse, émerveillés par la beauté des sites.

Arrivé à Monthermé un peu avant midi, j’ai demandé au restaurant du coin de la rue principale si je pouvais manger. « Non, non ce ne sera pas possible, revenez plutôt vers 12 h 15. » Déçu, j’ai poursuivi ma route, et pour la deuxième fois de ma vie je me suis installé chez un kebab qui ma foi m’a servi un repas convenable, copieux et avec gentillesse. Pendant ce temps, Mario faisait l’animation avec l’autre Mario, l’Italien donneur de légumes à gogo.

Je projette de m’arrêter à Bogny-sur-Meuse dans un gîte adapté à l’accueil des équidés, mais en réponse à mon appel téléphonique, le logeur m’indique qu’il se trouvait à Nancy et ne peut donc me recevoir. Patatras ! Et crottin de crottin ! Que faire ? Aller un peu plus loin et espérer que « le temps des cerises » puisse me recevoir ? Celui-là aussi est complet. Que faire encore ? Pas de camping dans les environs, pas d’autres chambres d’hôtes disponibles. Il me faut donc poursuivre en pressant fort le pas vers mon accueil prévu pour demain soir, soit encore une vingtaine de kilomètres.

sur la Meuse devant le gîte de Patrick à Joigny- su-r meuse

La chance tourne

La chance tourne, puisqu’à Joigny-sur-Meuse, m’y trouvant à l’heure où les écoles ferment leurs portes et où les mamans viennent chercher leur chérubin, j’ai sollicité l’une d’entre elles, vraisemblablement plus avenante, pour lui faire part de mon désarroi. Après conciliabule et forte discussion avec toutes sortes de mamans venues de facto en attroupement, il m’est indiqué un monsieur qui pourrait peut-être m’aider à trouver une solution. « Vous prendrez le chemin juste derrière le bois, il monte un peu et se dirige vers la gauche, à moins que vous preniez le chemin de halage et après la première écluse, et que, et que… » Merci beaucoup, je romps le débat qui n’en finit pas et prend congé en remerciant ces bonnes dames de toutes ces explications, en leur demandant pour finir vers quelle direction se trouve le monsieur en question. L’une d’elles me montre avec son doigt que c’est vers là qu’il faut aller. Je m’en vais donc vers là, rempli de scepticisme.

 

Chez Patrick à la clé des Bois

 

Grand bien m’a pris d’aller vers là, car je suis arrivé peu après au gîte La clé des bois à la « Croix la Mouche » chez Patrick et Nathalie. Accueil chaleureux et convivial où rien ne manque. Patrick est homme de cheval qui randonne sur beaucoup de territoires. Son étalon est superbe et se montre extrêmement hardi en voyant Mario qu’il faut éloigner dans un paddock en contrebas. On se passe des astuces de cavalier : sur le parage naturel sans ferrage, et il retient l’idée du sac à grains disposé dans un jeans de jeune fille et installé à l’arrière du bât. L’hospitalité est offerte et le repas du soir est mirifique en compagnie de Stéphanie, assistante sociale à l’Éducation nationale qui séjourne ici quelque temps en attendant sa nomination définitive. Bref, cette excellente étape du hasard est à recommander pour tous les voyageurs de ce coin de France.

une étape chaleureuse

Sacrée Chantal : la gentillesse même

L’étape suivante me demande peu de fatigue tant elle est insignifiante en kilomètres. Je traverse Nouzonville, passe devant un immense parc d’élevage de cerfs et de biches que Mario met en déroute, emprunte un chemin tortueux qui gravit les collines pour arriver au terme de ma journée, dans un endroit insolite : la ferme équestre de la Yame à Montcy-Notre-Dame. Tout ici est de guingois, les bâtiments incohérents sont construits « à l’arrache », et de nombreux objets jonchent le sol. Une vue d’ensemble complète le manque d’ordre, mais tout cela s’estompe tellement l’accueil est chaleureux, la gentillesse de Chantal est extrême. Elle répète à chaque fin de phrase « y a pas d’soucis ,y a pas d’soucis ». Le mulet est aux petits soins, mon barda et le sien mis dans un box sur une bâche propre. Ne souhaitant pas camper ici, je m’apprête à rejoindre Charleville-Mézières à pied lorsque cette petite bonne femme me propose de m’emmener dans son camion. Elle me dépose juste devant le musée Rimbaud, lieu où elle viendra me rechercher le lendemain. Ce soir je couche en ville, à l’hôtel."y a pas d'soucis".

à la Yame

 

Le musée Rimbaud et la place Ducale

Le musée Rimbaud m’a enthousiasmé malgré son aspect spartiate. Installé dans le moulin de la ville, un bâtiment hors norme restauré avec soin. Il se déploie sur trois niveaux avec le grenier dévolu à l’écoute de textes, avec les salles « rêveries », tout cela sur un bras de Meuse où tournaient autrefois les roues du moulin. Les beaux manuscrits du poète ainsi que des œuvres d’artistes contribuent à mieux aller à la rencontre d’Arthur et à ouvrir avec lui de nouveaux horizons. Je ne citerai qu’un extrait du poème « Phrases », tiré des illuminations parce qu’il me touche beaucoup : « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. » Bien sûr, tout cela à prendre au deuxième, et si l’on veut au troisième degré. Ou encore ces quelques vers de vagabond : « Et je les écoutais ; assis au bord des routes ; ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes de rosée à mon front ; comme un vin de vigueur » Oui, tout un poème comme dirait ce cher Watson ! Et puis je suis reparti par les rues de cette ville construite de toute pièce en 1606 par ce bon Charles de Gonzague, duc de Nevers et de Rethel, neveu d’Henri IV. La place Ducale présente une similitude avec la place des Vosges à Paris. Cela tient très vraisemblablement au fait que les deux architectes étaient frères. Ce sont dans les deux cas, les façades seules qui ont été élevées. C’est par la suite que les personnes de qualité et les bourgeois aisés acheteurs de ces façades ont poursuivi la construction des logis d’habitation et de réception.

La maison des ailleurs, maison d’Arthur Rimbaud, ainsi que le musée des Ardennes et une promenade dans la ville et voici qu’il me faut penser à retrouver Mario pour poursuivre le chemin.

Le moulin et la place Ducale
Le moulin et la place Ducale
Le moulin et la place Ducale
Le moulin et la place Ducale
Le moulin et la place Ducale
Le moulin et la place Ducale
Le moulin et la place Ducale
Le moulin et la place Ducale
Le moulin et la place Ducale
Le moulin et la place Ducale
Le moulin et la place Ducale
Le moulin et la place Ducale

Le moulin et la place Ducale

Eh oui! Vraiment!

Réflexions solitaires

Durant ce voyage, j’ai rencontré beaucoup de gens, mais la marche en solitaire, enfin presque puisque je suis accompagné d’un mulet, favorise l’introspection, la réflexion, l’analyse et la pensée. Je tire des conclusions, je construis des représentations sur les gens, je leur prête ce qu’ils ne sont pas, je leur donne des dons, des qualités, mais aussi je les regarde vivre. Parfois les gens sont en représentation, ils font tout pour paraître. Avoir l’air ! Tout est là ! À une époque où l’urbain devient le nécessaire, l’apparence devient la norme. Les hommes comme les femmes ont besoin d’être lissés, pareils aux autres tout en étant fortement particularisés : c’est alors que le paraître aplatit l’être. Je le vois avec tous ceux qui sont adeptes des modes. Les apparences maniérées, souvent construites en référence, sont l’apanage des êtres circonstanciels, de l’instant. La télévision montre l’exemple avec ceux qui d’un côté ricanent sur tout, pourvu qu’ils soient filmés et de l’autre côté de la caméra ceux qui font la roue pour se vendre, pour faire la promotion d’un quelconque bazar. L’immédiateté s’enrichit alors de superficiel pour utiliser la crédulité et transformer la réalité en faux-semblant. Chacun aime se sentir exister dans l’estime et l’opinion des autres. Et moi de penser alors comme Machiavel dans Le Prince « le point est de bien jouer son rôle ».

hospitalité Chez Dominique et Luc

Une belle étape

J’ai quitté la Meuse pour vagabonder vers l’Ouest, sur les collines, pour me rendre chez Dominique et Luc qui tiennent gîtes et chambres d’hôtes. De beaux paysages bien différents des jours passés : la Fosse aux chats, le bois de Sorel, le bois aux brebis, Houldizy, la fontaine de Nibay, Tournes, pour enfin arriver au moulin d’Haudrecy. Luc, maréchal-ferrant connaît bien son affaire et Mario dormira dans un vaste box chargé de foin et gardé par une clôture électrique. Ici aussi, sans rien demander, je suis convié à dîner et l’hospitalité sera complète. La soirée est l’occasion d’échanger sur nos différents voyages, sur leur future randonnée en baie de Somme, sur nos connaissances communes et notre passion pour les chevaux. Une belle soirée…

à Haudrecy

à Haudrecy

Drôles d’aubergistes

Ce matin, je peux in extremis bâter au sec, mais la pluie vient m’accompagner jusqu’au soir. Une pluie à la fois drue et froide où des accalmies la rendent plus sournoise et crachineuse, mais tout autant pénétrante. Tout ruisselle, sur le pantalon, sur les chaussettes qui se gorgent d’eau rendant les chaussures spongieuses à souhait. Mario est bâché et il aime ce temps, je le sais, même si tous les poils de son toupet dégoulinent et lui entravent les yeux. Je le sens gaillard et je dois le freiner pour ne pas m’épuiser contre ces grains de haute mer qui m’accablent. C’est donc sous une pluie battante que nous arrivons à l’étape. On me montre un hangar où je peux disposer mes affaires sur les outils agricoles pour les faire sécher. On m’indique le pré de 7 hectares dans lequel Mario passera la nuit, puis je me présente à la porte du gîte. Les propriétaires sont dans la cuisine, en train de faire le pain et de préparer la réception qu’ils attendent pour le lendemain. On me montre la chambre et on me précise l’heure du dîner. Je salive à l’idée de croquer le bon pain maison, mais ce ne sont que quatre tranches de baguette qui accompagnent la délicieuse soupe et le reste du repas. Je suis le seul convive et j’avale à grande vitesse ce qui m’est présenté avant d’aller me coucher. La nuit fut longue et bonne.

Dans les Ardennes en septembre 2017.Dans les Ardennes en septembre 2017.
Dans les Ardennes en septembre 2017.

Signy-l’abbaye

Ce jour-là, je rejoins le chemin de Compostelle, celui qui vient d’Aix-la-Chapelle et se poursuit jusqu’à Vézelay. Il pleut encore et le vent me fouette le visage, j’avance en m’abritant le plus possible derrière Mario. Au loin, à la lisière d’un bois, j’aperçois quelque chose de rouge. Je suis heureux d’avoir emmené mes jumelles dont pourtant je ne me sers pratiquement pas. Aujourd’hui, elles me permettent d’entrevoir deux personnes et un cheval qui marchent sur ce GR. Ce groupe est très loin, peut-être à 4 ou 5 km. Profitant de ma pause déjeuner, le groupe arrive : une maman, sa fille et leur âne me dépassent. Elles ont loué le petit âne pour le week-end : l’occasion de se retrouver entre mère et fille ! Pour cette étape où je n’ai rien réservé, je me hasarde à téléphoner à une chambre d’hôtes inscrite sur le topo guide. C’est libre, il y a de la place mais il faut régler d’avance. Sans solution pour le mulet, je remarque en face de l’hébergement des terrains viabilisés à construire. Prudent, je préfère demander à quelqu’un si je peux faire paître le mulet sur ce bel espace vierge. J’appelle une personne que j’aperçois à travers la fenêtre d’une maison en finition de construction. Je la hèle du mieux que je peux en criant fort, mais la personne se cache, ne répond pas pensant peut-être que je fais la quête. À force d’interpellations, un gros monsieur ouvre la fenêtre : je peux enfin lui demander si je peux mettre le « cheval » dans cet espace pour la nuit. Il me répond par l’entrebâillement que c’est un terrain communal et qu’il s’en fout complètement. Fort de ce renseignement et ne pouvant joindre la mairie compte tenu de l’heure, je décide de planter la clôture : l’herbe est abondante et l’éclairage communal me rassure. De plus, j’entrevois Mario depuis la fenêtre de ma chambre. Tout est bien ainsi. Pourtant, vers 18 heures, je crois apercevoir un petit garçon qui souhaite caresser Mario. En fait, c’est Helena, une petite fille de 4 ans, le crâne rasé, qui se trouve devant moi. Je me suis senti très honteux devant cette pitchoune en traitement chimio et qui me dit « je suis une petite fille, mais j’ai eu une maladie ». Mon émotion a été forte et ce fut le l’instant le plus marquant de ma journée. Que dire de ma logeuse qui m’a pris non sans raison pour un rigolo, un gars qui voyage avec un mulet pour sensibiliser le grand public sur le cancer des enfants !

Il y a longtemps

Il y a longtemps

Le lendemain matin, changement de programme. Une messe en grégorien me retient beaucoup plus tard que prévu : moment de grâce que l’on croit au ciel ou que l’on n’y croit pas. Le Bienheureux Guillaume de Saint-Thierry, bénédictin et fondateur de l’ancienne abbaye est, lui aussi, célébré avec la bénédiction d’une statue le représentant.

Le chemin final

Et c’est ainsi que vers 13 heures, je prends le chemin de ma dernière étape pour rejoindre la « ferme des quatre mains » chez Joseph et Christelle. En traversant un village, une fermière me vend quelques tomates pour 1,60 euro, et me remet 5 euros pour l’Étoile de Martin. Je pense et lui dis que ce n’est pas ainsi qu’elle fera fortune. Elle m’a répondu que c’est pour elle une joie de donner pour cette cause. Le chemin de l’après-midi est un enchantement dans la forêt. Le long des routes forestières et des chemins, la terre est labourée par les sangliers pour bien me rappeler qu’ils sont les animaux symboles de ce pays, mais je n’en vois aucun. Je traîne un peu malgré la distance à accomplir car c’est la fin du voyage. Une belle page se tourne et je resterais bien encore un peu dans cette région qui me dépayse et que je découvre. Maintenant, j’arrive à l’entrée du village ; au loin, un groupe se campe et m’observe. Ils sont là dans l’étonnement, une dizaine de personnes et de nombreux enfants qui m’accostent pour me questionner sur toutes choses. Ils me connaissent un peu ayant lu le journal. Mario est à la fête et je dois redoubler d’attention pour éviter un incident, une maladresse car le bougre n’est pas en peluche. Il a vu le van garé près de l’église et cela le rend un peu nerveux. Il est temps de nous éclipser pour terminer notre voyage, débâter, ranger le bât, la bricole, l'avaloir et autres bardas pour enfin libérer Mario dans un pré et venir me reposer chez Joseph, personnage atypique mais fort sympathique. Le repas du soir en compagnie d’une Hollandaise faisant le chemin sera d’un grand réconfort et bien fameux : tous les légumes provenant du jardin.

Un jour peut-être, je poursuivrai ce chemin jusqu’à Vézelay pour avoir la satisfaction d’avoir accompli la voie mosane et le sentier du nord dans son ensemble. Un jour peut-être !

                                                                  Jean en septembre 2017

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C
quel plaisir de te lire Jean ! mais quel bavard tu es ! ceci dit, ce récit est plein de découvertes intéressantes, y compris sur la nature humaine ! je te félicite encore, et t'embrasse très fort ! claire
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R
merci Claire de ton commentaire qui me va droit au cœur.Jean