RANDO MULET

Récits de voyages et randonnées diverses avec un mulet:UN VRAI MULET

Le Loir-et-Cher par la Sologne.

Comme tous les ans, j’ai choisi de marcher en Loir-et-Cher avec Mario pour lutter contre les cancers de l’enfant. Cette année 2017 a été très contrastée, puisque, d’une part, certaines municipalités n’ont pas souhaité nous accueillir malgré de nombreux mails et communications téléphoniques et, d’autre part, des petits problèmes de santé ne m’ont pas permis de voyager autant que je le souhaitais. En revanche, l’accueil et la participation des étapes de Seigy, de Selles et de Contres furent excellents, et inoubliables.

Le lundi matin, Pierre est venu me chercher avec son van pour ensuite emmener Mario devant la mairie de Seigy, joli village proche de Saint-Aignan-sur-Cher. Le temps de bâter le mulet, de le mettre à l’attache sur le dossier d’un banc public et nous sommes prêts pour nous mêler aux enfants du Sivos (Syndicat intercommunal à vocation scolaire). Il est presque 9 heures et les voitures des mamans affluent sur le parking de part et d’autre du mulet alors que de nombreuses places sont disponibles 20 mètres plus bas. Une maman soucieuse de se rapprocher au maximum de l’entrée de l’école vient coller son véhicule juste derrière Mario. Craignant un incident, je demande à Mario de se tourner. Mais surgit alors une deuxième maman, encore plus pressée que la première, qui, voyant ainsi un bout de place se libérer s’engouffre dans l’espace et se colle à côté du mulet, lequel craignant pour sa sécurité fait un écart, tire sur sa longe, casse l’hackamore, et rompt les cuirs de la bride. L’animal ainsi libéré décide de prendre la poudre d’escampette. Le voilà maintenant qui trotte, galope en tournant sa tête dans ma direction. Je lui connais bien cette attitude que je traduis par « attrape-moi si tu peux » et dont je ne sors pas toujours vainqueur, à moins d’user de ruse et de persuasion. Il faut vite le rattraper tant le danger est imminent avec la présence des voitures et des enfants. Pierre m’aide à coincer Mario entre le ruisseau et une haie de tilleuls. Je l’appelle, mais il me fait courir, alors je lui parle, puis doucement je m’approche et doucement lui fais contact.

Le Loir-et-Cher par la Sologne.
Le Loir-et-Cher par la Sologne.
Le Loir-et-Cher par la Sologne.
Le Loir-et-Cher par la Sologne.

Ouf, plus de peur que de mal, mais il faut improviser et lui remettre un simple licol. Je me dis que l’étape risque d’être difficile car malgré son bon caractère et son comportement aux ordres, je sais que Mario reste un mulet et qu’il faut toujours rester en vigilance, surtout lorsque nous ne sommes pas seuls.

Pendant que je bricole et rassure le mulet, les mamans ayant compris leur maladresse conduisent leurs véhicules sur un emplacement plus éloigné.

Nous entrons finalement dans la cour de l’école où nous attendent les plus petits, ceux de l’école maternelle venus spécialement de Châteauvieux avec le car scolaire. Nous faisons connaissance, puis nous partons Mario en tête avec tous ces enfants vers la salle des fêtes où une petite collation leur est offerte, en présence des élus, de la presse et de nombreux parents et accompagnateurs : ces derniers me guideront plus tard à travers les chemins pour rejoindre Couffy.

Après cette petite cérémonie de bienvenue, nous regagnons l’école où nous attendent les CE1 et CE2. Assis en demi-cercle, ils sont là, le doigt levé pour poser leur question. Très disciplinés, ils m’interrogent à tour de rôle sur tout et dans le désordre : la naissance de Mario, son repas quotidien, le nombre de kilomètres parcourus, son âge, les enfants malades du cancer, pourquoi son ferrage, sa hauteur, les clowns de l’hôpital, son poids… plus de cinquante questions auxquelles il me faut répondre rapidement et surtout très clairement. Mais il faut s’interrompre car nous devons partir maintenant ensemble vers les Tassins afin de poursuivre vers le lieu-dit La Ferme où nous attendent les enfants de CM1 et CM2 installés à Couffy. Aux Tassins, nous prenons congé en remerciant les enfants de m’avoir accompagné un bout de chemin. En compagnie de quelques marcheurs, nous rejoignons le dernier groupe d’élèves en empruntant un sentier fort accidenté descendant dans le fond d’une rouère. Si vous n’êtes pas du coin, difficile pour vous de connaître une rouère : il s’agit vraisemblablement d’anciens lits de ruisseaux formant des ravins creux d’une dizaine de mètres, voire beaucoup plus. Il en existe beaucoup dans la région et ces ravines se situent naturellement à la perpendiculaire du Cher. Aujourd’hui, elles sont encombrées d’arbres morts ou, plus désastreusement, de déchets de toutes sortes.

Le Loir-et-Cher par la Sologne.Le Loir-et-Cher par la Sologne.

Aux Tassins, nous prenons congé en remerciant les enfants de m’avoir accompagné un bout de chemin. En compagnie de quelques marcheurs, nous rejoignons le dernier groupe d’élèves en empruntant un sentier fort accidenté descendant dans le fond d’une rouère. Si vous n’êtes pas du coin, difficile pour vous de connaître une rouère : il s’agit vraisemblablement d’anciens lits de ruisseaux formant des ravins creux d’une dizaine de mètres, voire beaucoup plus. Il en existe beaucoup dans la région et ces ravines se situent naturellement à la perpendiculaire du Cher. Aujourd’hui, elles sont encombrées d’arbres morts ou, plus désastreusement, de déchets de toutes sortes.

A la ferme, nous retrouvons les « grands » du Sivos qui nous accompagnent jusqu’à leur école où à l’ombre d’un grand arbre je suis à nouveau soumis à la question ! C’est l’heure de la cantine et je prends congé de tout ce petit monde, adultes et enfants qui m’ont soutenu pendant cette partie de la première étape.

Me mettant en route vers le canal de Berry, je fais une halte devant la mairie de Couffy pour saluer son hôte, puis je prends la route de Meusnes avant de bifurquer par un petit chemin qui me conduit au gué du Loup près du pont qui enjambe le Fouzon. Je passe les Arrachis, traverse le Cher et me rends sur le chemin de halage. J’ai dans ma poche l’autorisation de voyager avec le mulet le long du canal de Berry. Son accès est aujourd’hui interdit aux chevaux en raison de la fragilité des berges, alors qu’autrefois chevaux et mulets y tractaient les « flûtes ».

Le Loir-et-Cher par la Sologne.
Le Loir-et-Cher par la Sologne.
Le Loir-et-Cher par la Sologne.
Le Loir-et-Cher par la Sologne.

Plongé dans mes rêveries d’antan après m’être frugalement restauré, je n’ai pas tout de suite vu Marie-Claude arriver en courant. Une nouvelle compagnie, bien agréable ma foi, mais qui a subi, je m’en suis rendu compte un peu tard, la célérité de Mario. Nous avons ralenti le pas afin de traverser ensemble le pont-canal de Châtillon. Magnifique réalisation qui permet au canal d’enjamber la Sauldre au nord du Cher. Très étroit mais permettant toutefois le passage du mulet bâté, il surplombe la rivière offrant ainsi une merveilleuse vue sur un paysage de fourrés partiellement noyés par l’eau des deux rivières.

Non loin de là, nous avons aperçu le groupe des randonneurs sellois venant à notre rencontre. Nous faisons connaissance et une fois encore Mario se fait prendre en photo. Le correspondant de la Nouvelle République prend lui aussi quelques clichés puis nous repartons, tous ensemble sur le chemin de halage en direction de La Thizardière, un faubourg de Selles. L’équipe qui nous accompagne est bien sympathique et d’emblée les échanges sont nombreux.

En avance sur l’horaire, nous flânons un peu dans Selles pour arriver sur la place de la mairie aux alentours de 17 heures où nous sommes attendus. Mario fait encore la vedette, pendant que les préparatifs de la petite réception vont bon train sur la place Charles-de-Gaulle. Les bénévoles des amis du vieux Selles, la police municipale installent les tables et les garnissent de victuailles et de boissons. Je passe là un moment fort agréable en compagnie de gens bien accueillants, en faisant connaissance de la jeune maire du conseil municipal des jeunes, mais également du maire en titre de la commune.

Mario est attaché dans un coin de l’espace réservé, à proximité de cette petite réception. Un brave homme me demande s’il peut lui donner une friandise. « Pourquoi pas ? mais mettez bien la main à plat ». Dès que le mulet a happé le morceau de pain, il agite violemment la tête, ébroue son museau, ouvre et referme vivement sa bouche, tire la langue pour enfin éjecter le toast. « C’est marrant, votre cheval il n’aime pas le pâté ? » J’ai d’abord cru à une mauvaise blague faite par le rigolo de service envers un animal sans défense, mais j’ai dû me rendre à l’évidence que le quidam donneur de tartines au pâté ignorait que mon mulet n’est pas omnivore. En pensant à Saint-Exupéry, et à la fleur apprivoisée du petit prince, je me dis, comme le renard, « on voit toutes sortes de choses sur la terre… » Mais dans le cas présent, ce n’est pas sur une autre planète !

 

Après ce petit entracte, un fort petit groupe s’en est allé vers la villégiature de Mario pour la nuit. Tout le monde a envahi la cour de Ginette (j’ai changé le prénom, afin que notre logeuse d’un soir ne soit point importunée), qui en fut bien surprise. Ginette vit solitairement à l’écart de la tumultueuse vie selloise et je pense que le flot de gens accompagnant Mario et envahissant son « chez-elle » a dû l’impressionner. Son accueil a été néanmoins somptueux et Mario a passé une excellente nuit dans le jardin de Ginette. Je sais que sa nuit fut bonne car j’ai été reçu avec égard (ne dites pas Edgard) par mon amie Monique, voisine de Ginette, j’ai pu vérifier que tout se passait bien.

Fatigué par la mise en jambe du premier jour de marche, je décide d’interrompre ce voyage « loir-et-chérien » après ma future étape de Romorantin où rien ne me retient expressément. Je décline alors les invitations et rencontres prévues sur les  autres escales de Sologne.

Ce mardi matin, avant de partir, je me rends avec Mario à l’école primaire Jules-Ferry où il est prévu une rencontre avec les élèves.

Voici le bref récit que j’ai écrit alors dans un texto-tweet « On est déjà demain. Ce matin, j’ai assisté en direct à une situation exceptionnelle que je n’ai jamais vécue : imaginez donc, il est 9h30 et je suis attendu à l’école élémentaire de Selles-sur-Cher. Là, avançant avec Mario dans la cour de récréation, je vois deux grandes haies d’élèves me laissant le passage. Deux haies longues de 50 mètres. Nous avançons lentement, impressionnés. A ce moment-là, tous les enfants et les maîtresses nous applaudissent longuement, très longuement. Le vertige me prend. Mario, lui, est imperturbable. Je perçois quelques visages radieux, des mirettes pétillantes, des regards heureux. Les applaudissements redoublent. Je sens et ressens l’émotion me prendre. Je sais que mes yeux me trahissent. Je ne peux pas “ faire le fier ”. Ma gorge est nouée et ma vision se trouble… »

Je viens de vivre une lévitation transcendantale ; une lévitation muletière ! La fatigue me gagne, mon cœur est noué mais content…

Plus tard, j’ai rencontré Jean-Marie, l’ancien maire de Pruniers-en-Sologne sur un chemin rejoignant La Bondice alors que quelques randonneurs sellois m’accompagnaient encore. Cet homme-là, qui m’avait joint tôt le matin par téléphone pendant que je bâtais Mario, nous apporte maintenant café et madeleines, avec promesse de m’accueillir aux alentours de midi dans sa demeure. Une fois de plus il ne faut pas mollir tant le chemin pour arriver à Pruniers est encore un peu long. Monique, toujours diligente a fait la navette pour venir récupérer mes guides et accompagnateurs, et c’est après avoir traversé la Sauldre sur un charmant et ancien petit pont, aujourd’hui interdit à la circulation automobile, que d’un bon pas de la mule nous avons marché vers Pruniers en chantant à tue-tête. Tous les deux nous étions bien ; le temps clément, la nature en plein éclatement, la musique entraînante malgré un peu d’essoufflement et les graves fausses notes de l’harmonica : je sais que ces moments sont rares et qu’il faut en être conscient pour les apprécier pleinement. On touche là des instants de grâce extrême qui s’enrichissent de rien ou d’un rien (même de fausses notes).

 

C’est un peu après midi que je suis arrivé chez Jean-Marie et Bernadette. L’apéro s’est rapidement transformé en repas, puis accompagné par l’un ou l’autre de mes hôtes je m’en suis reparti tout guilleret vers Romo en rencontrant en chemin moult connaissances de mon protecteur d’un jour. A ces endroits, je découvre ou devine les belles propriétés cachées derrière la verdure : La Perrièze, Marmagne, La Croix de fer, Les Beaunes, Les Bardignaux, et bien sûr La Maltournée. Tous ces noms évoquent une histoire, des histoires de gens ou de lieux.

Le Loir-et-Cher par la Sologne.
Le Loir-et-Cher par la Sologne.
Le Loir-et-Cher par la Sologne.
Le Loir-et-Cher par la Sologne.
Le Loir-et-Cher par la Sologne.
Le Loir-et-Cher par la Sologne.

Après un petit tour dans cette petite ville de Romorantin où chaque badaud ou amie ressent l’impérieux besoin de caresser le museau du mulet, j’ai rejoint la Majo et installe Mario chez l’ami Lucien qui a accepté de suppléer la défaillance municipale en proposant non loin de là un bel espace vert.

Que dire du gîte d’étape ? Il est propre et bien tenu, formel dans son accueil et pesant dans le repas de collectivité pris au self.

Ce n’est qu’après quatre jours de repos plus tard que j’ai repris la direction de Contres. La traversée de la forêt de Cheverny fut un enchantement tant la nature et le temps jouaient ensemble un si beau concerto

J’ai rejoint ensuite près de la rocade les élus du conseil des jeunes ainsi que Jean-Luc, le maire de la commune de Contres, accompagnés de nombreux habitants pour enfin arriver dans le jardin public, où sous le kiosque à musique était préparée une petite collation. Bien plus tard j’ai appris la concession d’une subvention de 1 000 euros octroyée par le conseil municipal au profit de l’Etoile de Martin

Le soir fut un moment magique pour mulet et muletier : gazon de Linda pour l’un et Hôtel de France pour l’autre.

Un petit garçon sûrement plus curieux que les autres m’a posé la question concernant les croûtes que Mario détient de part et d’autre sur ses antérieurs et postérieurs. Ce ne sont absolument pas des traces de blessure, mais bien, comme certains savants se plaisent à penser, des vestiges d’un autre temps. Il s’agit de la « châtaigne », une petite plaque de corne située sur la face interne des membres du mulet. Selon certaines hypothèses, il s’agirait des vestiges des 5 doigts que le mulet (mais aussi le cheval) possédait à l’origine avec : le sabot, l’ergo du fanon, les deux métacarpiens ou tarsiens (nommés aussi « canons »).

Je suis bien aise d’avoir ainsi marché comme tous les ans en Loir-et-Cher. On y rencontre  beaucoup de gens bien sympathiques et mon voyage solitaire se transforme avec eux en une action solidaire.

Merci à eux et vive la vie !

                                                                         Jean, du pré de Basfer en mai 2017

Envoi : merci à tous ceux qui ne se contentant pas seulement d’être de bons consommateurs, me suivent dans ces pérégrinations muletières en m’adressant des  signes, encouragements  et commentaires.

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