RANDO MULET

Récits de voyages et randonnées diverses avec un mulet:UN VRAI MULET

la belle marche avec l'administration pénitentiaire

MOI MARIO, MULET DE GRANDES VILLES : je relate.

 Maître jean m’a entrainé fin Mars 2017 dans une drôle d’aventure : aller de prison en prison en région parisienne avec des personnels de l’administration pénitentiaire pour soutenir la recherche sur les cancers de l’enfant. Une entreprise peu banale que je vais essayer de vous raconter de mon point de vue de mulet.

Ce fut, paraît-il une équipée difficile et longue à préparer tant l’administration est d’après les échos que j’en ai depuis mon pré en Loir-et-Cher, tatillonne, minutieuse dans son efficacité, compliquée à souhaits, courtelinesque et bien souvent rétrograde et alambiquée. Comme toutes les administrations, elle est composée, paraît-il, de diverses couches de fonctionnaires empilés en strates qui souvent se dessèchent en se voulant plus nécessaires les uns que les autres. Parfois m’a-t-on dit, ces allumeurs de réverbères continuent à veiller à leurs bons fonctionnements alors que nous sommes passés depuis longtemps à l’électricité. Chacun s’efforce alors de justifier son emploi afin de ne pas sombrer dans l’indifférence du chef. On m’a dit aussi qu’un seul fonctionnaire s’il est insatisfait de son poste ou de l’intérêt qu’on lui porte, peut enrayer la machine et faire arrêter la production ou tout au moins la ralentir. Ayant de grandes oreilles, c’est du moins ce que j’ai entendu lors d’une conversation entre un adepte d’un certain Michel Foucault, et un grand commis de l’état. Je suis bien loin de tout cela, ayant comme seul tourment ma quête de nourriture, mon régal, hein ?

Jean m’a dit “tu vas venir avec moi  et avec l’administration pénitentiaire pour soutenir l’association l’étoile de Martin, afin de sensibiliser les personnels aux cancers de l’enfant. Nous irons en ta compagnie d’un établissement pénitentiaire francilien à l’autre, en traversant 29 villes et 4 départements“

-il est confiant le bougre !

Voilà comment cela a commencé.

Nous sommes arrivés en camion ce  lundi de mars vers 11 heures à Villabé (91), au siège de l’entreprise INAPA,(groupe de distribution du papier) qui a gentiment accepté de donner le top départ de notre voyage. Là, m’ont rejoint mes accompagnateurs du fil rouge : Jean Paul, Philippe, Michel, Louis, Virginie, Rodrigues, Anne, Georges, Cédric, Bernard et les autres. Une belle équipe qui n’a pas hésité à suppléer mon maître défaillant. J’ai bien aimé leur sollicitude, leur empressement pour me bâter, à tenir ma longe, ou à me photographier.

Tout le long du parcours, les jeunes surveillantes de Fleury-Mérogis qui m’accompagnaient en ce premier jour de marche se portaient spontanément vers les badauds, avec la tirelire, pour leur expliquer pourquoi elles faisaient cela, en leur demandant de donner une petite pièce “pour la recherche, messieurs, mesdames : les petits ruisseaux font les grandes rivières...” Sans se décourager, elles ont arpenté l’interminable route de Corbeil pour faire “peser” la tirelire.

 

 

 

 

 

2   Nous sommes le premier soir de la marche, en compagnie des personnels pénitentiaires, auxquels m’a associé mon muletier préféré. Il a pensé que c’était bien qu’un mulet marche avec des hommes et des femmes, pour faire valoir une cause bien légitime : les cancers de l’enfant.

Au début, j’étais impressionné de voir autant de gens et de si belle condition, pensez donc ; des surveillants de toutes les prisons de la région parisienne, et notamment ceux de Fleury-Mérogis venus en nombre, des personnels administratifs et de directions, des membres de  «osons les défis », (cette association, créée par des personnels pénitentiaires favorise l’éducation, l’insertion, la solidarité, et la culture par le sport). Des représentants de « l’étoile de Martin » se sont également joints à nous.

Durant les premières heures de cette matinée, il y a eu une grande effervescence à l’état-major de la gendarmerie nationale. J’entendais des bribes des nombreuses  communications téléphoniques « un groupe de marcheurs ? Combien ? Un âne ? Quoi ? Un mulet ? Faut appeler le commandant untel. Oui, la police municipale vous accompagnera. Nous envoyons une patrouille, des véhicules vont sécuriser le trajet jusqu’à Courcouronnes, après  ce n’est plus notre secteur, il faut joindre la brigade de Longjumeau… »…

Du beau monde, étalé en cortège, avec devant moi les véhicules girophardés qui maîtrisent la circulation. Moi, j’ai pris mon rythme de marche habituel, ce qui a surpris plus d’un marcheur, et fatigué certains d’entre eux. Même mon maître était essoufflé, mais il faut dire qu’il n’a plus la vigueur que je lui ai connue il y a seulement 5 ans. Il vieillit, le bougre, je suis bien content de le traiter de bougre, lui qui m’affuble de ce joli sobriquet si souvent ! Je crois même que n’en pouvant plus, il a souhaité monter dans le minibus mis à notre disposition par l’administration, à moins que ce soit le fourgon cellulaire ; je ne sais plus très bien, cela s’est passé tellement vite. Je crois bien qu’il a vite pris goût de se faire covoiturer par Virginie !

Durant ce voyage, j’ai appris des tas de choses que je me suis empressé de raconter à Daisy, mon ânesse de copine de Basfer. Je crois qu’elle n’a pas tout compris, car il faut l’avoir vécu pour comprendre cette expérience inoubliable ; c’est du moins ce que l’on enseigne dans les cours ex cathedra à la fac de psychologie animale. Mon maître Jean se prend d’ailleurs parfois pour un « psychologithèque » muletier, ce qui me fait bien sourire. Il pourrait vous conter bien des histoires de bêtes aussi bêtes que moi : le pire, c’est qu’il y croit ! Son soi-disant art ne s’applique surtout pas pour moi ; je crois qu’il n’y a pas assez de distance relationnelle entre lui et son sujet que je suis. Il paraîtrait qu’il serait plus doué, comme beaucoup d’hommes publics, avec les moutons ! Je dis, il paraîtrait, car je n’ai pas vérifié  chez lui ce don panurgien.

En tout cas, cette première journée de marche aurait rapporté plus de 1000 euros au profit de l’étoile de Martin, grâce à la générosité des personnels. Ce midi, le responsable du mess de Fleury a dit aux marcheurs qu’un euro avait été récolté pour chaque repas servi aux 500 convives.

 

la belle marche avec l'administration pénitentiaire
la belle marche avec l'administration pénitentiaire

 

Fleury-Mérogis ; plus grande prison européenne, elle héberge quelques 5000 personnes. Pas un seul mulet n’est venu fréquenter ce secteur, et je suis très fier d’être le premier mulet de race à séjourner dans ce lieu de privation de liberté. A ma connaissance, il n’existe pas de prison pour mules, et  si d’aventure on projetait d’en construire une, on pourrait très bien faire un quartier commun pour mules et mulets, compte-tenu de notre particularité. Cela n’est encore pas possible avec les humains, qui comme vous le savez peut-être, sont toujours sexués, et sont encore pour un temps d’un genre diffèrent. A ce jour, la construction de prison pour des têtes de mules n’est pas d’actualité, et c’est tant mieux, tant les efforts doivent se concentrer principalement sur la prévention que sur la répression. Rappelons-nous en effet la réaction notoire d’une tête de mule légendaire, racontée par notre bon Alphonse. La sentence ne se déclenche que 7 années plus tard par le coup de pied de la mule du pape.

Je suis heureux d’avoir passé une nuit à Fleury-Mérogis, dans un confortable endroit engazonné derrière le mess, où les autorités nous ont reçus avec beaucoup de sympathie. »

-« C’est bien d’être reçu en prison avec beaucoup de sympathie…et surtout de ne pas y rester ! »

Depuis mon jardin, derrière le mess, j’entends la musique, et je me dis qu’en fait les marcheurs ne sont pas si fatigués que ça.

Mais J’entends aussi mon maitre venir me dire tout bas à l’oreille gauche que la fatigue le gagne mais que son cœur est content : “ un vrai enfant de la marche vous dis-je, ce gars-là, quoiqu’il faiblisse un peu ces temps-ci ! ”

la belle marche avec l'administration pénitentiaire

3 C’est la première fois que je marche en compagnie de représentants d’un ministère régalien, oui, je sais ; pour faire simple ce sont des personnels de l’administration pénitentiaire. Mais en disant régalien, je voulais faire croire en bon mulet que je suis, que je connaissais comme les hommes politiques et les gens instruits des mots savants. Moi qui ne suis qu’un mulet de bas étage, je veux dire en dessous de la plus belle conquête de l’homme, je voulais vous en mettre plein la vue et faire oublier ma condition subalterne ! Quoique, je pourrais en démontrer à plusieurs, palefrois ou destriers n’étant jamais sortis de leur écurie, et qui trottent en rond en faisant des sauts qui ne servent qu’à faire de l’effet à celui ou celle qui les monte. D’ailleurs, j’ai longtemps cru que « Régalien » était une déclinaison du mot régal : ce qui n’est pas du tout le cas ! A propos de mot, on m’a affligé du surnom mignon de Mario, mais en fait, j’en vaux bien d’autres car mon véritable nom est : Mustang de la Richardière.

Mon maître, qui parfois se prend pour un mulet, et qui aime se mettre à ma portée, m’interpelle quelquefois, assez rarement toutefois lorsque je fais l’âne : il prend alors sa grosse voix et dit très fort et très vite ? « Ça suffit Mustang de la Richardière ! » Ou bien « nom d’un mustang de la Richardière ! » à la façon d’un « nom d’un chien ! ». Ce n’est pas la peine qu’il crie le patron, j’entends très bien, même mieux quand il parle tout bas : j’ai de grandes oreilles, moi !

Parfois je me dis que les chiens ont bien de la chance d’être des chiens, car leur nombre leur donne de l’importance aux yeux des hommes mais aussi des femmes. Les chiens ont la réputation d’être affectueux et fidèles. Les humains aiment bien les chiens et les chiennes. Ces animaux-là sont plus «casables» que les mulets. Il parait aussi que les mulets seraient plus têtus ! Quand les humains partent en vacances, ils peuvent emmener les chiens et les chiennes dans leur voiture, rarement dans leur coffre ou bien les laisser dans un refuge. Vous imaginez mettre un mulet dans un coffre ? Hein ? Dans un coffre ? Mais ce n’est pas possible de mettre un mulet dans un coffre, ou bien il faudrait bigrement le tasser. De toute façon, il n’y aurait pas assez de mulets ou de mules pour les hommes en France. Les hommes seraient malheureux de ne point avoir leur propre mulet en laisse pour le faire pisser le soir sur le trottoir du voisin. Je sais qu’il y a à peine une vingtaine de naissances de mulets Poitevins par an. Alors je ne crois pas qu’un candidat à la présidence de la république soit favorable à la production industrielle du mulet en France, comme elle l’était au siècle dernier avec plus de 20 000 naissances par an. Il faudrait sérieusement battre la campagne d’une rude façon pour encourager la renaissance de notre race, car de plus étant hybrides, nous sommes stériles, incapables de nous reproduire : cela limite considérablement l’expansion muletière sur le territoire !

Sur plusieurs étapes du trajet, des chiens renifleurs de drogue ou spécialisés dans la recherche d’armes m’ont accompagné. Avec leur maître, ils ont effectué un beau parcours loin des cellules et de leur environnement familier : ils ne m’ont pas du tout inquiété.

Successivement nous passons à Sainte-Geneviève-des-Bois, à Morsang-sur-Orge, à Villemoisson-sur- Orge puis à Longjumeau.

Le temps s’est mis au gris, et la froidure assaille les marcheurs dès qu’ils n’avancent plus. Justement c’est l’heure du repas. Virginie, en éclaireuse avisée, s’est arrêtée à la gare, et espère que tout le monde pourra à l’abri, manger le casse-croute préparé par les cuistots de Fleury- Mérogis. Monsieur  le chef de gare les autorise à s’installer dans la salle d’attente pendant que moi avec mon poil d’hiver je rumine à l’extérieur. C’est justement à l’extérieur qu’un petit homme que je reconnais vient me caresser le museau. Il apostrophe surtout le muletier « Eh bien, tu ne me reconnais pas, je suis Gilbert ? Vous vous êtes arrêtés, tous les deux, chez moi à Saint Cyr la Rivière il y 6 ans, lorsque tu allais à Paris et Villejuif. » Je revois encore la tête de ces deux-là : étonnant n’est-ce pas ? En tout cas c’est uniquement grâce à moi que le gars Gilbert a reconnu le muletier ; suis bien fier !

Après cette halte frileuse, nous poursuivons notre marche vers le nord en direction de Fresnes. On me fait passer par les pires endroits que je connaisse, mais les noms des sites ressemblent étrangement aux lieux-dits de ma campagne, ce qui me rassure : Le petit Champlan, les champs foux, la ZI de la vigne aux loups, la ZA de la butte au Berger, le beau vallon…Dans mon for intérieur de mulet, je me dis que ce goudron a peut-être été un jour de la terre ! Peut-être ?

      sûrement une petite campagne

C’est juste à Antony, après le chemin de la croix brisée, que nous retrouvons la Présidente de l’Etoile de Martin, près du centre André Malraux. Le long du parcours, nous faisons sensation, et les badauds se retournent sur mon passage : ce n’est pas tous les jours qu’ils croisent un mulet. A chaque fois, il y a un volontaire de notre groupe pour expliquer aux passants curieux de notre équipée que je ne suis pas un âne, que je ne suis pas un cheval ni un zèbre décoloré, mais un mulet, un vrai et grand mulet parce que …et blablabla… Les hommes ont oublié ce qu’est un mulet. Et pourtant, qui a participé activement aux campagnes militaires ? Aux victoires de Napoléon ? Qui a labouré les champs à côté des chevaux de trait ? Qui a transporté matériaux et fournitures à travers la France, avant l’existence du chemin de fer et l’invention de l’automobile ? Mis à part les péniches et autres gabares, c’est le mulet. Beaucoup de gens ignore le rôle que nous, les mulets, avons joué pour l’économie et la grandeur de notre pays, je dirais même sans fausse modestie, pour la prospérité des civilisations successives et antérieures à la nôtre. Nous les mulets, nous ne caracolons pas seulement.

la belle marche avec l'administration pénitentiaire
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La belle marche pour lutter contre les cancers de l’enfant se poursuit en compagnie des personnels de l’administration pénitentiaire.

Comme vous le savez je suis Mario le mulet de grand chemin et, comme souvent, je suis impérial aussi bien sur l’herbe que sur le macadam. (Ça pourrait se chanter !) Ici, en région parisienne, je ne vois pas la queue d’une jument, et encore moins un ballot de foin. En revanche, les bruits de la ville est des avions d’Orly sont assourdissants, mais je n’y prête pas attention. J’entends à peine les ordres de mes muletiers suppléants, ou du moins c’est pour moi une bonne excuse d’en faire un peu à ma tête. D’aucuns disent aussi que je fais parfois ma tête de mule. Moi, je ne le pense pas car ILS ont dit que j’étais impérial : alors, c’est vrai : je suis un bon mulet !

Sur cette étape, ce sont près de 35 personnes, dont des représentants de l’Etoile de Martin, qui m’ont accompagné dans les rues, les boulevards et autres avenues de cette banlieue sud de Paris. C’est bon, mais seulement pour un court moment, de parcourir ces espaces où je suis déjà venu il y a 6 ans, pour emmener depuis ma lointaine province des peluches et des entrées gratuites d’un zoo aux enfants hospitalisés à l’Institut Gustave Roussy à Villejuif. Seul, avec mon maître, j’avais trouvé le temps bien long, surtout dans la traversée de la Beauce. Les quartiers « hachelémisés » de la banlieue sud ne m’avaient pas laissé le même souvenir que la traversée de Versailles ou de St Germain.

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Ce soir, au centre pénitentiaire de Fresnes, on m’a remisé dans le jardin privatif d’un logement : ce n’est pas bien grand, mais c’est suffisant. J’ai eu droit à un bonus avec carottes et tas de foin. On a demandé à mon muletier de laisser l’endroit propre et surtout d’enlever le crottin. Le lendemain matin un contre ordre est venu d’un jardinier qui a souhaité au contraire que l’on laisse mes très beaux tas sur place, afin de les utiliser. « C’est pas tous les jours que l’on a la chance de ramasser du si beau crottin de mulet » a-t-il dit.

J’ai eu un peu de mal à m’endormir. A la tombée de la nuit j’entendais les détenus s’interpeller d’une fenêtre à l’autre. Cela faisait une jacasserie identique à celle du Zoo de Beauval, lorsque le crépuscule venant, l’ensemble des oiseaux et singes se répondent bruyamment. Mais ici en plein ville, dans une enceinte close de tristes hauts murs, j’avoue que mon poil d’hiver se dressait sur ma croupe en entendant malgré moi ces invectives écholaliques. Le lendemain matin, un surveillant, venant m’apporter une gâterie, genre chocolatine de la collation de la veille, m’a dit ; « tu sais pépère,  (je ne sais pas pourquoi il m’appelle pépère) les soirs de matchs de foot, c’est pire. Ce n’est plus dans un zoo que l’on croit se trouver, mais dans la jungle amazonienne lorsqu’un prédateur inquiète tout un territoire. » Cela, je vous dis, m’a bien réconforté. Malgré la forte lumière régnant la nuit sur l’ensemble du centre pénitentiaire et ne me sentant pas du tout en pénitence, je me suis laissé aller dans les bras de Morphée dont je ne sais si elle est mulet, mulot ou bien mule. Qu’importe, en bon mulet que je suis, et n’ayant rien à me reprocher, je me disais pour m’aider à sommeiller, que je me trouvais pour l’instant  du bon côté des barreaux.

C’est mieux ainsi.

Ce matin du mercredi 22 mars, nous partons  à 8 heures pétantes du centre pénitentiaire de Fresnes, car il nous faut rejoindre la maison d’arrêt de Bois d’Arcy, distante de 30 km. Après les préparatifs d’usage, le cortège, plein d’allant, quitte les hauts murs sous ma conduite. Après quelques bouts de rues, nous traversons le parc de Sceaux sous un vrai soleil de printemps. Derrière moi, règne une bonne ambiance, et tous les marcheurs sont, me semble-t-il, heureux de participer à cette promenade francilienne. Près de la pièce d’eau, ils décident de faire une séance photos pour immortaliser notre aventure. J’aime bien ces moment-là, d’abord parce que je suis pris en photos et que ma trombine muletière sera présente sur les réseaux sociaux, mais aussi parce que j’assiste à chaque fois à un ballet où chacun essaye de montrer son meilleur profil. Souvent, on me demande de regarder l’objectif, de me tourner par ici ou par derrière. Il y a ceux qui se mettent en avant, ceux qui s’efforcent de sourire pour faire bonne figure, ceux qui font la grimace, et toujours ceux qui se placent bien en vue. En général, je reste impassible face à ces agitations passagères, en souhaitant que cela ne dure pas trop longtemps.

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Nous poursuivons par Châtenay-Malabry, puis Verrières le Buisson et sa forêt. Nous arrivons à Bièvre, où les marcheurs ont décidé de s’arrêter. On  m’indique que le musée de la photographie se trouve à proximité, et les voilà à se demander si on a le temps de s’y arrêter ! Non, la distance vers Bois d’Arcy est encore trop longue, et raisonnablement, tous décident de repartir. Plusieurs autres personnes se sont jointes à nous, mais moi, je n’ai pas pour autant, ralenti le pas, et les nouveaux ont un peu souffert pour sortir de la cuvette de la Bièvre “au pas de la mule“. Derrière moi, j’ai vu le groupe s’étirer. Philippe, un gars du fil rouge, a pris son sifflet pour me signaler de ralentir et d’attendre les moins rapides. A propos de sifflet, j’ai été impressionné par l’autorité avec laquelle ce Philippe-là se sert de son instrument, notamment dans les traversées de routes ou de carrefours. Au début, je croyais que c’était pour me remettre en ordre de marche ou bien pour sanctionner une erreur de ma part, mais bien souvent il ne faisait pas grand cas de moi. Dans ce cas, c’était uniquement pour faire stopper les automobilistes. Droit comme un i, chemisé dans son gilet fluo, un doigt dirigé vers la cible, le sourcil froncé, le regard autoritaire, nul ne pouvait se soustraire à son ordre afin que je puisse marcher sur la chaussée, ou traverser une route en toute sécurité. Un vrai régal, hein !?

Un peu avant le coup de midi, en arrivant à Jouy-en-Josas, mes accompagnateurs cherchent un endroit abrité pour se restaurer et se reposer. Bernard, toujours aux petits soins pour mon bien-être et celui des marcheurs, s’en va frapper à la porte de la mairie, pour demander l’hospitalité dans un gymnase ou autre lieu municipal, mais -administration oblige-, la réponse est sans appel: « avez-vous envoyé un mail ? ». S’en suit une discussion sans intérêt avec le secrétariat, car aucun adjoint ne peut se rendre disponible. Finalement, mes compagnons me font aller vers une salle de danse, où je ne peux entrer. Les marcheurs sont heureux de pouvoir faire halte après avoir parlementé avec le responsable de la salle. Pendant ce temps, j’attends patiemment que le casse-croûte se termine.

Malgré la distance à accomplir et d’une façon générale, la faible préparation à un tel exercice des nombreuses personnes qui m’accompagnent, je suis heureusement surpris de voir leur vitalité mais surtout leur volonté pour réussir ce challenge contre les cancers de l’enfant. Je les entends dire que les mollets se durcissent, que les ampoules grossissent, que le souffle s’accélère, mais aucun ne renonce. Alors, pour leur épargner un peu de fatigue, je ralentis le pas. Avec mes grandes oreilles, sans avoir l’air, je capte même un fatigué du tendon dire à son éreinté de copain : « on ne va quand même pas se plaindre alors que des gosses souffrent à l’hôpital ». Ces gars-là, ces femmes-là, ils ont un dur métier, mais ils ont du cœur !

Et nous marchons, et nous marchons encore. Nous passons aux Loges-en-Josas. Au détour d’un chemin, Cédric arrête le groupe, et alors que quelques-uns se désaltèrent, émet la proposition d’aller jusqu’au château de Versailles. « Ce n’est qu’un petit crochet, ce n’est pas loin, c’est une occasion unique… » Malgré la fatigue, l’intérêt du détour l’emporte à la majorité. Nous descendons par un petit chemin vers le RER C, passons sous les voies par un étroit tunnel où mes sabots claquent avec grand bruit, puis arrivons le long de la pièce d’eau des Suisses. Nous empruntons l’allée du potager du roi, et c’est bien agréable car elle est encore en terre battue, et j’y marche avec plaisir. Nous rejoignons la place d’arme où nous nous trouvons noyés parmi les nombreux touristes, surtout asiatiques, qui photographient sans merci le monument ainsi que moi-même. Avec mes compagnons, je suis impressionné de les voir photographier tout ce qui bouge, tout ce que leur yeux remarquent. La beauté du château incite les marcheurs à faire de même.

Un vigile s’approche alors de moi et de notre groupe pour nous demander de quitter au plus vite  la place d’arme au motif que l’endroit est un site à la photographie protégée. (Sic) Stupeur et damnation, comme dirait le professeur Mortimer dans « la marque jaune ». Ils sont là, des milliers autour de nous, à jouer avec leur appareil et leur perche à selfie, et c’est nous que l’on vient admonester. Rien ne va plus, refaites vos jeux…

Pour ne pas faire d’esclandre et ne pas nuire à notre marche et ce que nous représentons, nous obtempérons pour circuler plus bas vers la statue de Louis XIV.

la belle marche avec l'administration pénitentiaire
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Nous repartons vers Saint-Cyr-l’École, passons devant la Lanterne, villégiature garnie du Président de la République, puis après bien des rues et des rues, rejoignons la maison d’arrêt de Bois d’Arcy. A notre arrivée, un comité enthousiaste nous souhaite la bienvenue en grande pompe avec une Ola magistrale. Maître jean dans son texto quotidien du soir relatait ainsi cette belle étape.

 

« La nuit est tombée en même temps que la pluie sur la maison d’arrêt. Après que Mario ait fait faire des tours de mulets aux enfants du personnel dans les espaces verts situés devant les murs, nous avons nettoyé les cuirs, établi le paddock, puis sommes allés diner au mess, pour ensuite faire dodo. Aujourd’hui, notre petite troupe de 30 personnes a parcouru près de 30 km, et il nous faut faire maintenant reposer notre corps endolori. Ce soir un concours de belotte est organisé : ce sera sans moi. Les personnels de ce centre nous ont remis un chèque de 1000 euros pour soutenir les actions de l’Etoile de Martin. Merci à eux. Vive la vie ! »

Le lendemain matin, je me dépêche de brouter pendant leur petit déjeuner. L’herbe perlée de rosée est une friandise que je déguste avec délectation. On me panse, on me bichonne, on me bâte, on me harnache, et hop il est 9 heures et nous voilà partis. Ce matin, se sont joint les personnels de la centrale de Poissy, qui vont faire la route avec moi. J’entends mes accompagnateurs dire que Poissy reçoit des détenus condamnés à de longues peines…

Nous traversons le bourg de la petite ville, et déjà les marcheurs vont vers les gens pour leur demander un petit geste en faveur de la recherche. Derrière moi, un petit groupe rentre résolument dans un bar pour solliciter les consommateurs ; notre marche contre les cancers de l’enfant donne des ailes et supprime bien des appréhensions !

Nous traversons une longue plaine à l’est de Rennemoulin, puis nous entrons dans Bailly et Noisy-le-Roi, où ils font halte pour un petit en-cas. J’en profite pour me laisser aller à un besoin naturel. Jean ne peut s’empêcher de commenter la couleur, et dit que c’est parfait et que mes urines sont claires. En la matière, j’ai beaucoup plus de liberté dans ce genre d’activité que la gente féminine qui n’a pas les mêmes facilités que moi surtout en milieu urbain. C’est en tout cas ce que mes oreilles recueillent en écoutant les commentaires des marcheuses.

 

Plus loin, nous  traversons l’autoroute de Normandie, avant de pénétrer dans la forêt de Marly, l’objectif pour ce midi étant de s’arrêter au lycée agricole de St Germain/Chambourcy pour casser la croûte. Virginie, Anne, Louis, et Jean nous ont précédés avec le minibus, et ont obtenu de la part du chef de cuisine et du responsable des salles que nous puissions bénéficier d’un local pour pouvoir manger les victuailles préparées cette fois-ci par le CP de bois d’Arcy. Informé par le téléphone portable, le groupe se réjouit de manger au chaud, car ce midi la température n’est pas clémente.

Patatras, enfer and damned comme dirait le professeur Mortimer… (Vous connaissez la suite). Le contre ordre est fulgurant. Alors que nos estafettes ont déjà installé les cartons contenant la nourriture des marcheurs dans le hall du lycée, survient un grand escogriffe trop bien vêtu pour n’être qu’un directeur derviche tourneur, c’est à dire essentiellement tourné sur lui-même. Revenant sur l’autorisation donnée par ses collaborateurs, il interdit à des étrangers de rentrer dans son établissement, au motif du non envoi d’un mail (encore lui ! sésame des temps modernes ?), mais surtout en raison du plan Vigipirate. Là, c’est le summum des références, celui que rien ne peut réfuter ; celui dans lequel se réfugie notre  interlocuteur désuet et démuni d’arguments plausibles. Mes compagnons essayent de comprendre comment un groupe de fonctionnaires, de surcroît régalien, accompagnés d’une compagnie cynophile et d’un gentil mulet de race, peuvent perturber ainsi l’ordre public. C’est ainsi que, profitant de l’état d’urgence, craignant que des djihadistes soient infiltrés dans notre groupe, ce petit directeur a refoulé mes compagnons de route, malgré leur réplique en terme de bon sens, demandant seulement l’hospitalité et évoquant les principes de solidarité ou les valeurs de fraternité. Que nenni !

Tout le groupe a pu un peu plus loin s’arrêter sur un parking, près d’un petit bois, avant de reprendre la route vers Saint Germain-en-Laye.

Dans son texto quotidien Jean décrivait ainsi cette étape : « Aujourd’hui, notre petit groupe composé d’une trentaine de personnes a rejoint la centrale de Poissy en passant par les forêts de Marly, puis de St Germain. Les habitants de cette ville ne se sont pas montrés généreux : pas un sou dans la tirelire. Ces gens aisés sont focalisés sur leur patrimoine, et aider les autres n’est pas leur préoccupation. C’est ainsi. En revanche, une très bonne ambiance entre les marcheurs et une très belle envie de s’investir pour la cause, et lutter contre le cancer. J’ai pu ainsi voir des démarches étonnantes. Hier comme tous les jours, l’accueil fut dans les établissements pénitentiaires d’une grande convivialité. Demain, nous rejoignons OGD, autrement dit Olympe de Gouges, l’immeuble du siège de l’administration pénitentiaire à Aubervilliers ».

L’arrivée à la centrale de Poissy fut un moment magique. De nombreuses personnes nous attendaient et nous applaudissaient. Nous sommes entrés dans la prison : photos, collation, promenades des enfants sur mon dos, échanges avec les représentants de l’étoile de Martin. Puis on m’a conduit à l’intérieur des murs en ouvrant une, puis 2, puis encore 3, et au total 4 portes sitôt refermées derrière moi, dans un box pour les poneys qui viennent de temps en temps faire de l’animation pour les détenus. J’étais très impressionné par cette séquence, mais je n’ai rien dévoilé de mon état, faisant alors de l’anesthésie émotionnelle. Je suis resté dans cet espace réduit jusqu’au petit matin, où l’on est venu me délivrer. Ouf, vive la liberté. J’ai maintenant une carte de détenu libéré dont je suis aussi très fier.

Les autres ont couché dans des chambres de stagiaires refaites à neuf. Chacun a reçu le kit du prisonnier avec brosse à dents, mousse à raser, rouleau de PQ, etc.

Le lendemain matin tous ont eu la surprise de déguster pour le petit dèj des brioches faites maison par les détenus : fameuses, tendres, et goûteuses à souhait.

la belle marche avec l'administration pénitentiaire
la belle marche avec l'administration pénitentiaire
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la belle marche avec l'administration pénitentiaire
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Vers 11 heures, nous sommes entrés en camion dans la Cité des sciences et de l’industrie pour repérer le parc à moutons où je dois dormir ce soir. J’y serai bien, il y a de la bonne herbe, et une bonne clôture empêchant les indésirables de venir me perturber. C’est somptueux.

Une fois encore je laisse le dernier mot à mon muletier en découvrant son texto journalier.

« Nous voilà arrivés. Mario est entré dans l’immense atrium abritant les directions du ministère de la justice. Il y avait là la Présidente de l’étoile de Martin, les directeurs des établissements pénitentiaires, le  directeur général de cette administration et ses adjoints, les membres « d’Osons les défis », ainsi que de nombreux personnels de cette grande administration. Comme d’hab, Mario a su rester imperturbable durant plus de deux heures en écoutant avec attention les discours, ou en salivant devant le buffet. Avec bonheur et bienveillance, des carottes furent servies à super Mario. Ce périple d’une semaine fut vraiment un beau challenge réussi, mené par des hommes et des femmes de bonne volonté, et armés d’une conviction profonde : le sens des autres. Je remercie ici tous ceux qui nous ont aidés, soutenus et suivis. Jean »

 

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Après cette arrivée en apothéose, j’ai rejoint ma cité des sciences, avant de repartir le lendemain matin pour mon pré de Basfer.

Je crois bien que cette action a permis de récolter, grâce à l’action conjuguée de toute l’administration pénitentiaire, la belle somme de 8125 euros.

 

Epilogue : une semaine après notre arrivée, le préfet Philippe Galli directeur de l’administration pénitentiaire démissionnait de cette haute charge. Qu’il soit ici remercié d’avoir soutenu avec force ce projet. Qu’il soit aussi remercié de n’avoir point démissionné avant et pendant notre opération, ce qui l’aurait fait sans doute  échouer.

Mario et Jean du pré de Basfer en Avril 2017

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F
Bravo pour l'action, bravo pour les textes.Bravo à vous tous
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R
Merci à tous ceux qui près de la frontière espagnole nous suivent et nous encouragent.<br /> Jean
J
Bonsoir, quel délice humain cet article. Je ne sais pas si Mario n'est que mulet, mais en tout ca, celui qui écrit l'article est plus qu'humain, il est aussi un sacré oiseau, avec cette belle plume !!!<br /> Merci de m'avoir permis de vous rencontrer, merci à toi Mario .Jean-Paul Président Osons les défis
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R
Bonjour Jean Paul.Merci de tes encouragements .Merci aussi pour nous avoir accompagné durant ce périple Francilien.Grace à ton équipe nous avons bien mieux compris les métiers de cette administration et de son travail primordial pour notre pays.<br /> J'ai été très heureux de partager cet engagement avec toi et avec "osons les défis"Jean
B
INCROYABLE :<br /> Mario possède un don de conteur exceptionnel . Nous le découvrons dans ce dernier récit .<br /> Et le doute m'habite maintenant : le muletier a t il écrit les textes précédents ou a t il utilisé un " mulet nègre " ????<br /> J'ai pour ma part vécu une semaine extraordinaire de contacts , d'amitié , d'émotion....de bonheur. MERCI . BYP BYP
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R
Nous venons d’effacer sur ce blog des commentaires indélicats et vulgaires..S' ils venaient à se répéter, nous prendrons bien évidemment les mesures qui s'imposent pour dénoncer ces agissements .Rando mulet
R
Bonjour BYP. Oui Mario avait ce petit don d'écriture bien caché dans sa tête de mule..Il a tellement insisté pour nous faire part de son point de vue sur cette marche en compagnie des personnels pénitentiaires que je me suis laissé aller à lui transmettre la plume.<br /> Ce fut effectivement une très belle marche .Jean